Fig. est un festival de graphisme ayant lieu à Liège. Il propose un programme composé de conférences, d’expositions, de workshops et de tables rondes, s’adressant à un large public qui pourra y découvrir les multiples facettes du design graphique contemporain.
DATAVISUALISATION
Présentations & Talks & Discussions
Expositions
Workshops
Extras
ÉDITION
Radim Peško
Studio Studio
My name is Wendy
common-interest
Clara Lobregat Balaguer
Château Fort Fort
Discussion As, Not For — Jean-Sylvain Tshilumba Mukendi & Loraine Furter
Design graphique pour designers graphiques ? — Château Fort Fort, Le Signe
Jérémy Landes
GR200
Atelier Brenda
Léonore Conte
Cyril Makhoul
Tania Prill
Outils libres — Sarah Garcin
Graphisme et féminisme — Axelle Minne, Roxanne Maillet, Hélène Mourrier, Marine Poyard
Hélène Mourrier
Speculoos
ORtype
Hey
Building Paris
Studio Meta
Studio Spass
Roxanne Maillet
Sara de Bondt
MÉDIATHÈQUE
FILTRER PAR TYPE
Léonore Conte |
Manières de faire manifeste dans le champ du design graphique.
Marx et Engels ont édité le leur en 1848. Marinetti a ouvert le pas dans le champ artistique en publiant celui des futuristes en 1909. Puis, ce fut au tour des dadaïstes, des constructivistes, des lettristes, des surréalistes et bien d’autres encore d’écrire le leur et de le rendre public. Le manifeste s’est incontestablement imposé comme l’objet phare des mouvements de modernité politique et artistique depuis la seconde moitié du xixe siècle.
Mais, alors que le genre est annoncé comme mort depuis la fin des années 1960, les designers graphiques sont de plus en plus nombreux à avoir recours au manifeste. Usagers retardataires d’un mode de communication en voix d’extinction, les designers graphiques redéfinissent aujourd’hui le manifeste, entre héritage révolutionnaire, nostalgie avant-gardiste, volonté d’indépendance et instrumentalisation du concept. Nous nous interrogerons ici sur certaines de ces manières de faire manifeste propres au design graphique.
Marie-Mam Sai Bellier |
When Loraine Furter and Benjamin Dupuis invited me to create the visual identity for the Festival International de Graphisme de Liège 2021, I decided to take as a reference the concept of “incantation”. This notion will be the main theme of our next issue Revue Diorama No.3, Yokai Types Incantations based on a sentence by Antonin Artaud. I am currently very much interested in la littérature fantastique, especially Guy de Maupassant, Japanese Shintoism, African ideograms and pop culture: which evokes the idea of how to transcend ordinary in fantasy.
Starting with this idea of words that have a magical effect when spoken, I wanted to design a font for FIG that carried with it the spirit of the venue of the festival: « les Brasseurs » in Liège. The grids surrounding the staircase are emblematic of the location and feature rounded metal bars with small circles on top of each of them giving the place its special atmosphere, so I wanted to try and create a font that carried the same feeling. At the beginning of the creative process for the font, my idea was therefore to make it a clear echo of Les Brasseurs with a strong signage that recalls the architecture of the room, but with the sanitary measures due to the Covid-19 epidemy, the 2021 edition of the FIG festival could unfortunately not be maintained in physical but had to be moved over to the digital realm.
I decided to maintain this creative approach of working on the location, but without the location, by paying tribute to the space Les Brasseurs and its crowds using the BB21 font. There is a romantic aspect to this font that tries to manifest the absence and yet also the metaphysical encounter with the venue through the spirit of its staircase, embodied by the typography: my interpretation of an incantation, as mentioned earlier.
In my design, I decided to keep the presence of the top bar and the triangles of the staircase grids by symbolizing them with triangles. I quickly realized that the circles on the sides of each letter seemed to give them bear ears and thought that this unexpected aspect of the font had to be emphasized so I developed the animal monster side hidden in the letters. Much like pareidolia, when a person perceives faces on an object or abstract pattern, the idea was to hunt each creature like faces in the font and bring them forward to the viewer. Since the font features no spaces between each letter, these monstruous counter forms appear sharply in the text and I also decided to use some of those counter forms instead of regular spaces for text. There will be 2 alternate versions of the font available on the Diorama Type Partners foundry: one will feature a simple bar on top for more legibility, while the other will feature the monsters counter forms instead, for more eccentricity. For the website, I like the idea of these virtual crowd of type-ghosts and the day-night effect as a touch of digital romantism. These type-monsters are the inhabitants of the letters. They are born from the contre-formes of the letters. I like the idea that they can populate the blank space, as the forms between words or the margins as ornaments.
Just like I had experienced with the design of my Mesh typeface, also soon available on the Diorama Type Partners foundry, I wanted to create a font that could physically be used as signage in a venue and therefore had to be able to stand up on its own. Mesh was a tricky typeface to design as it emerged from a 3D sculpture and was used in a video-game landscape: all the letters can physically stand on the ground. When designing BB21, I wanted to go with the same direction as I think it creates a special experience seeing fonts being used not a digital display but rather in a real-life environment. For the story, the font’s name means Brew Bear 2021 as a direct reference to FIG 5th edition.
Thanks to all the team of FIG for the invitation and Marine Stephan for the development of BB21!
Marie-Mam Sai Bellier
Lorsque Loraine Furter et Benjamin Dupuis m'ont invitée à créer l'identité visuelle du Festival International de Graphisme de Liège 2021, j'ai décidé de prendre comme référence le concept d'"incantation". Cette notion sera le thème principal de notre prochain numéro Revue Diorama No.3, Yokai Types Incantations basé sur une phrase d'Antonin Artaud. Je m'intéresse actuellement beaucoup à la littérature fantastique, notamment Guy de Maupassant, au shintoïsme japonais, aux idéogrammes africains et à la culture pop : ce qui évoque l'idée de comment transcender l'ordinaire dans le fantastique.
Partant de cette idée que les mots qui ont un effet magique lorsqu'ils sont prononcés, j'ai voulu concevoir une police pour FIG qui porte en elle l'esprit du lieu du festival, Les Brasseurs à Liège. Les grilles qui entourent l'escalier sont emblématiques du lieu et comportent des barres métalliques arrondies surmontées de petits cercles qui confèrent à l'endroit son atmosphère particulière. J'ai voulu essayer de créer une police qui transmette le même sentiment. Au début du processus de création de la fonte, mon idée était donc d'en faire un écho clair aux Brasseurs avec une signalétique forte qui rappelle l'architecture de l'espace. À cause des mesures sanitaires dues à l'épidémie de Covid-19, l'édition 2021 du festival FIG n'a malheureusement pas pu être maintenue en physique et a dû être déplacée vers le numérique.
J'ai décidé de maintenir cette approche créative d'un travail sur le lieu, mais sans le lieu, en rendant hommage à l'espace Les Brasseurs et à sa foule en utilisant la police BB21. Il y a un aspect romantique dans cette fonte qui tente de manifester l'absence et pourtant aussi la rencontre métaphysique avec le lieu à travers l'esprit de son escalier, incarné par la typographie — mon interprétation d'une incantation, comme mentionné précédemment.
Dans mon design, j'ai décidé de conserver la présence de la barre supérieure et des triangles des grilles d'escaliers en les symbolisant par des triangles. J'ai rapidement réalisé que les cercles sur les côtés de chaque lettre semblaient leur donner des oreilles d'ours et j'ai pensé que cet aspect inattendu de la police devait être mis en valeur ; j'ai donc développé le côté monstre animal caché dans les lettres. À l'instar de la paréidolie, lorsqu'une personne perçoit des visages sur un objet ou un motif abstrait, l'idée était de chasser chaque visage semblable à celui d'une créature dans la police et de le présenter au public. Comme la fonte ne comporte pas d'espace entre chaque lettre, ces contreformes monstrueuses apparaissent nettement dans le texte et j'ai également décidé d'utiliser certaines de ces contreformes au lieu des espaces habituels du texte. Deux versions de la police seront disponibles sur la fonderie Diorama Type Partners : l'une comportera une simple barre en haut pour plus de lisibilité, tandis que l'autre comportera les contreformes des monstres, pour plus d'excentricité. Pour le site web, j'aime l'idée de cette foule virtuelle de fantômes typographiques et l'effet jour-nuit comme une touche de romantisme numérique. Ces monstres typographiques sont les habitants des lettres. Ils sont nés des contre-formes des lettres. J'aime l'idée qu'ils puissent peupler l'espace vide, comme les formes entre les mots ou les marges comme des ornements.
Tout comme j'en avais fait l'expérience avec la conception de ma fonte Mesh, également bientôt disponible sur la fonderie Diorama Type Partners, je voulais créer une police de caractères qui pourrait être physiquement utilisée comme signalétique dans un lieu et qui devait donc être capable de se suffire à elle-même. Le Mesh a été une fonte complexe à concevoir, car il est issu d'une sculpture 3D et a été utilisé dans un paysage de jeu vidéo : toutes les lettres peuvent physiquement tenir debout. Lorsque j'ai conçu le BB21, j'ai voulu aller dans la même direction, car je pense que cela crée une expérience particulière de voir des polices utilisées non pas sur un écran numérique, mais plutôt dans un environnement réel. Pour la petite histoire, le nom de la police signifie Brew Bear 2021, en référence directe à la 5e édition du FIG.
Merci à toute l'équipe du FIG pour l'invitation et à Marine Stephan pour le développement du BB21 !
Marie-Mam Sai Bellier
Sarah Boris |
Quelle formation as-tu suivi ? Comment es-tu arrivée au design et art graphiques ?
Au lycée j’ai suivi une formation littéraire, puis passé un Baccalauréat L avec options arts appliqués et anglais. Après le bac, j’ai intégré une Mise à Niveau en Arts Appliqués (MANAA) à Oliver de Serres à Paris. L’entrée se fait sur concours et je me souviens qu’à ce moment les textes de Georges Perec ont joué un grand rôle dans ma création. C’est un extrait d’Espèce d’espace qui a nourri ma réponse pour l’entrée du concours à Olivier de Serres. Je garde un souvenir formidable de cette année de mise à niveau et un grand sentiment de liberté où l’on pouvait tout essayer et expérimenter. C’était joyeux, artistique et créatif, un peu comme un éveil. Après cette MANAA, j’ai poursuivi mes études à Estienne en DMA Typographie (DMA : Diplôme des Métiers d’Art). On était seulement 12 dans la classe à Estienne, c’était donc un immense privilège d’être dans un si petit groupe avec un suivi aussi attentif et rigoureux des professeurs. Estienne m’a paru beaucoup plus académique et scolaire, et peut-être un peu différent de ce qu’on pourrait imaginer. Mon lieu préféré était le LEG (laboratoire d'expérimentation graphique) où on pouvait essayer toutes les techniques d’impressions traditionnelles (typographie, lithographie, sérigraphie etc.), un vrai terrain de jeu. Après Estienne (en 2003), je suis partie à Londres où j’ai étudié au London College of Communication. En décembre 2004, j’ai obtenu mon Master Typo/Graphic Studies. J’avais un grand désir d’allier mes deux passions : l’art et le graphisme et c’est pourquoi je me suis intéressée tout particulièrement aux postes de graphiste au sein de structures artistiques et muséales (Centres d’Art, Institutions Culturelles et Musées londoniens). J’ai décroché mon premier poste au Barbican où je suis restée plus de deux ans, un espace grandiose, à l’architecture brutaliste et où la programmation présente art visuels (expositions), danse, théâtre, concerts, cinéma. Ce premier travail de graphiste au sein d’une institution culturelle renommée a été un moment déterminant et fondateur pour la suite.
Dans quel domaine es-tu plus à l’aise et pourquoi ?
Aujourd’hui mon travail se situe dans le domaine du design graphique mais également des arts graphiques, je suis à la fois designer et artiste. Fonder mon studio d’art et graphisme en 2015 m’a permis de trouver un équilibre entre mes deux pratiques et de présenter plus ouvertement mes créations diverses. Pour ce qui est de me sentir à l’aise, je dirais plus que c’est souvent le commanditaire ou le sujet qui me fait me sentir à l’aise plus que le domaine. Quand il s’agit du commanditaire, s’il y a une symbiose et confiance entre toutes les parties, alors je pense que nos spécificités sont tellement transférables que l’on peut se sentir bien dans chaque type de projet. On peut se sentir aussi bien à l’aise dans la création d’identités visuelles que dans le design éditorial, la signalétique, le packaging ou encore le web design ainsi que dans la création artistique. Je pense que notre profession nous donne énormément d’outils et nous sommes dans un apprentissage perpétuel. Ces outils et cette ‘formation continue’ permettent de naviguer entre différents domaines avec aisance. J’ai bien sûr des domaines de prédilection tels que la sérigraphie, l’identité visuelle ou l'édition / l’objet imprimé mais ce qui m’intéresse tout particulièrement c’est de m’exprimer dans de nouveaux domaines et ne pas m’enfermer dans un seul.
Pour quel secteur préfères-tu travailler ?
J’aime travailler avec des artistes, musiciens, écrivains, commissaires d’exposition, galeries, musées, centre d’art et les maisons d’édition. Travailler avec des artistes me plaît particulièrement. Quand un commanditaire fait confiance, cela change tout et le travail qui en découle est souvent moins contraint et, de ce fait, plus fort. C’est souvent avec les artistes que je retrouve cela. Ils sont prêts à prendre les risques qu’une équipe de marketing ou d’éditeurs ne prendrait pas : le résultat visuel s’en ressent.
Depuis six ans, je travaille aussi avec une galerie de photographies. Le fait de travailler ensemble sur une base annuelle nous a permis d’apprendre à nous connaître et de vraiment bien collaborer. J’aime particulièrement travailler avec cette galerie qui est un lieu public et expose chaque année des photographes du monde entier.
Bien que je ne sois pas fermée pour travailler avec d’autres secteurs, le secteur des arts contemporains et photographiques me nourrit et m’enrichit intellectuellement. Chaque nouveau projet me permet d’apprendre énormément.
J’aimerais travailler et collaborer avec d’autres secteurs tels que le culinaire, celui du design produit, de l’architecture et de l’artisanat. J’ai eu l’occasion de me pencher sur ces secteurs lorsque je travaillais chez l’éditeur Phaidon où je faisais à la fois du design de livre et de la direction artistique. J’y ai notamment dessiné des livres sur des sujets variés : la cuisine, le product design, et même des livres d’enfants.
Ta première expérience au Barbican semble être une étape très formatrice. En tant que designer graphique intégrée à une structure culturelle, quelles étaient tes missions ? Comment cela se passait au niveau de ta liberté graphique ? Comment jonglais-tu entre la création et la charte établie ?
J’ai choisi une voie assez différente - plutôt que de commencer à travailler dans un studio de graphisme, j’avais le désir de travailler en tant que graphiste au sein d’un musée d’art contemporain ou d'une institution culturelle. Ce rêve a dessiné les dix premières années de mon parcours. Après mon Master en Design à London College of Communication j’épluchais les annonces pour des postes à Londres et Paris mais plus particulièrement j’avais jeté mon dévolu sur le Barbican et je regardais régulièrement les annonces de carrière sur leur site internet. Je savais qu’ils avaient un petit atelier graphique interne qui répondait à la plupart des commandes graphiques de chaque département.
J'ai travaillé au Barbican de 2005 à 2007. Le Barbican est un lieu unique : il y a une grande serre avec une multitude de plantes magnifiques, des salles de spectacle et d'expositions temporaires avec une programmation de théâtre, danse, musique et film. La particularité du lieu est autant définie par son architecture au style brutaliste, ses trottoirs aériens, son envergure que par sa programmation diverse.
J’y faisais la création et conception graphique de tous les éléments de communication liés au programme artistique : affiches, flyers, brochures, développement d'identité visuelle pour des festivals tel que le festival de films pour enfants. J'ai même eu l'occasion de faire de la photographie pour certaines réalisations. Un des attraits de ce poste, c’est que les employés peuvent, après le travail, se rendre aux concerts ou voir un film gratuitement. On est au première loge et l’accès sans limites aux spectacles et expositions est très enrichissant. Cela permet de découvrir des artistes du monde entier qu’on n’aurait pas forcément connus autrement. J’ai notamment pu assister à un concert qui m’a énormément marqué, celui de la pianiste Mitsuko Uchida. Impossible de ne pas être inspiré dans un tel lieu.
On était une petite équipe de seulement deux graphistes, de ce fait on ne pouvait pas tout faire, certains des projets étaient attribués à des studios de graphisme (externes). J’ai eu la grande chance qu’une des agences mandatées pour refaire l’identité visuelle du Barbican m’invite à travailler dans leur studio à temps partiel afin d’assimiler la nouvelle identité et appliquer la charte graphique de retour au Barbican. Mes responsables au Barbican ont accepté et pendant trois mois j’ai pu partager mon temps entre l’atelier du Barbican et le studio de graphisme. C’était une expérience très formatrice, pouvoir observer les méthodes de travail de ce studio m’a énormément appris.
Un des aspects les plus formateurs pour un graphiste ayant travaillé ‘in house’ c’est d’être au quotidien au côté de son commanditaire. Être témoin des besoins, contraintes, pressions et diverses dynamiques que notre client peut rencontrer, permet d’y répondre au mieux. Être intégrée m’a permis également de découvrir les corps de métier de mes collègues et d’apprendre beaucoup d’eux dans les domaines tels que ceux de la presse, du marketing, du commissariat d’exposition et de l’édition. Tous ces acquis m’ont beaucoup inspiré et nourrissent grandement ma pratique d’aujourd’hui.
Je me suis rendu compte que souvent le graphiste interne était mal considéré par les graphistes en agence. Ce constat est devenu un leitmotiv et a posé les objectifs pour la suite de ma carrière : démontrer le contraire et faire valoriser le statut et les créations du graphiste dit ‘interne’ ou ‘in house designer’. Je me suis aussi intéressée aux parcours de Richard Hollis, graphiste pour la Whitechapel Gallery à Londres ou bien celui de Willem Sandberg qui lui était graphiste puis directeur du Stedelijk Museum à Amsterdam. J’aime beaucoup l’exemple de Sandberg qui était commissaire d’exposition, graphiste, directeur. Ça m’inspire énormément, je pense qu’on met trop les gens dans des cases de manière générale au travail et qu’en fait nos acquis peuvent s’appliquer dans énormément de domaines. De ce fait, le modèle de Sandberg est un exemple qui peut valoriser le statut et la portée d’un graphiste dit interne.
Après quasiment trois ans au Barbican, j’ai eu envie de changements et de nouveaux défis, j’ai donc commencé à chercher un nouveau poste où je pourrais m’essayer à de nouveaux types de projets. J’ai ensuite travaillé pendant 5 ans au sein de l’Institut d’Art Contemporain de Londres où je me suis vu confier la refonte de l’identité visuelle, un projet qui a marqué un tournant dans mon parcours.
Tu fais la distinction dans ta pratique entre design graphique et arts. Est ce que tu pourrais un peu nous expliquer quelles différences tu entends entre ces deux aspects de ton travail ?
Je distingue les deux car les créations qui en découlent sont très différentes la plupart du temps. Leur contexte et genèse le sont également. L’art a toujours eu une place dans ma pratique, je peignais beaucoup avant de faire du graphisme et après quelques années devant un ordinateur mon désir de me remettre à la peinture, au collage, à la sérigraphie n’a fait que s’amplifier. En 2012 j’ai fait mes premières résidences artistiques au sein d’atelier de sérigraphie et gravure à Londres, suivi d’une résidence en Écosse. Aujourd’hui je partage plus mon temps entre des commandes de graphisme et ma pratique artistique.
Je vends certaines de mes œuvres sérigraphiées dans plusieurs galeries en Angleterre et une galerie anglaise m’a contactée pendant le confinement en 2020 pour me représenter. Je n’ai pas encore accepté car je pense qu’il faut que je prenne mon temps avec chacune de ces décisions. Je ressens le besoin de conseils pour m’orienter dans ma pratique artistique et les prochaines étapes de son développement. J’ai aussi publié sous forme de microédition des livres comme ‘Le Théâtre Graphique’ ou bien ‘Global Warming Anyone?’ et ils s'inscrivent purement dans ma pratique artistique. Chacun de ces livres font désormais parti de collections, le premier a été acquis par le Stedelijk Museum et le deuxième fait partie de la Fine art collection du New York Center of Book Arts.
Mon travail artistique oscille entre pop art, poésie concrète, op art et art graphique. Je ressens une grande liberté avec ma pratique artistique aussi bien au niveau des sujets que j’explore que des formes que je donne à une œuvre. Bien que je fasse une distinction entre les deux, ma pratique graphique est devenue une véritable passerelle vers ma pratique artistique. De plus, je me rends compte que je me suis énormément imprégnée des expositions des lieux où j’étais graphiste / DA. L’exposition ‘Poor Old Tired House’ en 2009, commissariat par Mark Sladen (directeur des expositions à l’Institut d’Art Contemporain de Londres à ce moment-là) m’a beaucoup marquée et inspirée sans que je le sache à l’époque. L’exposition était principalement axée sur la poésie concrète et les œuvres d’art de Liliane Lijn, Ferdinand Kriwet, Dom Sylvester Houédard ayant toutes en point commun le texte comme élément central. C’est aussi à cette époque (au ICA) que j’ai découvert les travaux de l’artiste Tauba Auerbach dont les œuvres incluent des caractères typographiques, des livres et des sculptures entre autres.
Une de mes dernières œuvres est uniquement composée de texte et l’un de mes nouveaux projets de livre d’artiste auto-édité a pour sujet le langage et se tourne vers un ping pong de mots. Ce livre s’inscrit dans la poésie concrète mais aussi dans l’idée et la possibilité de formuler de nouvelles méthodes d’apprentissage des langues. Bien que ce projet en cours soit un projet artistique, je puise également dans mes connaissances de typographie et de graphisme éditorial pour le mettre en forme. Un autre de mes projets artistiques en cours est également un livre mais cette fois-ci sans mot. C’est un livre que j’envisage sous forme de sculpture, que j’aimerai énormément réaliser pour un espace public. Je l’envisage en acier peint. Pour réaliser ce projet je pense qu’il faut que je m’associe à une institution, un commissaire ou une organisation publique qui serait intéressée de le développer avec moi. Pour les livres, je continue d’en auto-éditer mais sur le long terme j’aimerais développer des partenariats avec des maisons d’édition afin de me concentrer sur la création.
Pour s’être croisés de temps en temps dans divers festivals ou rencontres liés au graphisme. Quel est l’apport de ces événements dans ton activité ?
Ces activités sont essentielles dans le cadre de ma pratique. Je travaille souvent seule et même quand il y a une étroite collaboration avec des commanditaires on peut se retrouver un peu isolé. Dans l’absolu, ça ne me gêne pas mais j’aime sociabiliser donc les festivals, conférences et expositions sont un moment clé pour rencontrer d’autres acteurs du monde de l’art et du graphisme. J’aime découvrir les pratiques de chacun et j’aime aussi bien parler lors d’un festival que d’écouter les conférences des autres. C’est important pour moi d’avoir une présence dans ces événements pour apprendre et découvrir la multiplicité des pratiques liées à notre domaine. Au-delà de cet aspect, j’ai rencontré au fil des années des gens qui sont devenus des amis, il y a une certaine solidarité et un soutien qui naît aussi de ces rencontres. Je me suis rendue en 2018 à un événement intitulé ‘Magical Riso’. Pendant trois jours à la Jan Van Eyck Academie organisé par Jo Frenken, qui dirige le Charles Nypels Lab, des artistes, graphistes et imprimeurs artisans se sont rencontrés et ont échangé autour de conférences, expositions et repas. C’était une vraie magie et un bonheur véritable. J’ai rencontré des gens du monde entier et depuis j'ai créé des liens avec des artistes en Corée, aux États Unis, en Écosse. Je pense que ce qui a particulièrement permis de nouer des liens au-delà de nos passions communes, c’était le fait de prendre tous les repas ensemble pendant ces trois jours, une excellente idée de la part des organisateurs. C’est toujours un investissement de se rendre à un festival surtout quand c’est à l’étranger, aussi bien en temps que financièrement, mais trois ans plus tard les rencontres de ‘Magical Riso’ m’inspirent et me nourrissent spirituellement au quotidien.
Enfin, tu animes régulièrement des workshops ou que tu donnes des conférences. Est-ce que tu apprécies ces moments de partages ? Qu’est-ce que cela t’apporte également ?
Donner des conférences est une expérience très particulière et génère un mélange particulier d'émotions chez moi. Il y a notamment de la timidité, de l'anxiété et la peur d’être jugée lorsqu’on est exposé à un public et qu’on se dévoile et qu’on y montre son travail. Par contre, je m’engage (presque) toujours à le faire. En 2019 j’ai parlé lors d’une conférence à Copenhague (Multiplicity organisé par Foilco). J’ai eu beaucoup de retour direct de créatifs dans le public qui pour certains m’ont dit être inspirés à poursuivre de nouvelles directions voir de réaliser leurs rêves. Je me dis que si je peux inspirer une seule personne dans une salle et leur apporter quelque chose de bon, il faut continuer à partager. J’assume beaucoup plus mon parcours et mes créations aujourd’hui et j’ai un peu moins d’appréhension de parler en public. Comme je le disais précédemment, donner des conférences ou mener des ateliers m’a aussi permis de nouer des liens avec d’autres personnes que je n’aurais pu rencontrer autrement. Les autres conférenciers sont souvent très solidaires et beaucoup m’ont encouragé avant de monter sur scène pour parler. On reste souvent en contact et avec certains, on collabore, on parle de temps en temps, on va boire un verre. C’est vraiment très enrichissant et à chaque fois je m’émerveille de la magie de ces rencontres, des rapports humains et leurs portées dans le temps.
L’autre aspect bénéfique est de prendre du recul sur sa pratique, en parler est un très bon exercice pour avancer, évoluer, se positionner et se situer. Ça me permet de faire comme un état des lieux, c’est une réflexion publique, un partage, une forme d’échange. J’aime beaucoup donner des conférences en université ou aux écoles. L’année dernière lors du confinement j’ai donné plus de dix conférences en ligne. La connexion physique d’être tous réunis dans une salle ensemble m’a manquée mais, pourtant, j’ai ressenti une grande transmission d’énergie après chaque conférence et certaines ont donné lieu à des échanges fréquents avec de nouveaux artistes et graphistes que je ne connaissais pas auparavant. J’ai hâte qu’on puisse se réunir et tous se rencontrer à nouveau.
Je pense que c’est important d’être confronté à un public varié et de différents milieux, apprendre à parler de nos métiers et transmettre nos savoir-faire dans des cadres multiples. Récemment, ma sœur m’a demandé de créer un document de 4 pages afin de partager mon métier avec la classe de mon neveu de 6 ans. S'adresser à un public de cet âge m’a confronté de manière critique et essentielle sur des questions telles que ‘Comment raconter mon métier’, ‘Comment valoriser la profession de graphiste et d’artiste’ à de jeunes enfants. J’ai adoré cet exercice. De temps en temps je me réfère à ce document qui m’aide à me recentrer et à me souvenir dans les moments de difficultés pourquoi j'aime mon métier. Apprendre à parler à tout un chacun de ce que l’ont fait peut fondamentalement améliorer nos échanges avec des commanditaires, collègues et collaborateurs sur le long terme. Il y a beaucoup à faire dans notre industrie pour créer des plateformes plus ouvertes et accueillantes pour tous et cela passe beaucoup par les workshops et les conférences.
Tania Prill |
Tania Prill talk about the “Archive of Independent Publishing – AIP”, which is a collection of Underground and self- publications from the 1960s and 1970s and the exhibition and book project “Under the Radar”. The focus of the AIP is mainly on German dissenting voices, but it also documents the European and transatlantic context of independent modes and practices of publishing. This archive started as a private collection (gathered over about 15 years by Jan-Frederik Bandel) and is now based at the University of the Arts Bremen.
The value of these publications—often equally wild in regards to politics, content and design—for the history of social movements, political protest forms and alternative life models around and since 1968 is apparent. However, the AIP is most urgently interested in questions that are different (or rather lead in different directions): what significance is gained by media, communication, and design in these life models? What preceding histories to the analog, digital, post-digital media use can be told through these publications? Which breaks with tradition and lines of continuity within graphic design and media thought can be conceived of more precisely than elsewhere? Whose shoulders is today’s independent publishing standing? What can it learn from the amateurs, fantasts, and rebels of the 1960s and 70s? How political is design? And which social ideas can be articulated within it?
Under The Radar: Underground Zines and Self-Publications 1965–1975 |
Projet d’exposition à l’initiative de l’invitée Tania Prill, Under The Radar présente le boom des œuvres underground et auto- publiées du milieu des années 60 dans le monde de l’édition. Après avoir publié un livre sur le sujet en février 2017 la continuité du travail de recherches en collaboration avec des étudiants sera présenté durant le festival.
Rachel Thonart Nardellotto |
Le graphisme pourrait être - très simplement - un rapport aux choses.
Poser un regard conscient de la force des symboles, des textes, des couleurs, conscient de la composition et, a fortiori, des images, sur tout être ou toute chose. Un prisme qui nous accompagne, dans toutes les composantes de nos vies et qui permet de traverser les apparences.
Le graphisme pourrait être une force critique.
Comprendre comment d’autres communiquent vers nous et donc cerner ce qu’il·elle·s veulent nous communiquer, entre les lignes. Chaque image et chaque forme sont choisies et déterminantes. Chacune d’elles adresse un message, témoigne d’une prise de position. Se nourrir d’images et de formes, en cherchant à en déceler le sens, donc prendre conscience de leur pouvoir incalculable. Tenter de déconstruire ces codes pour pouvoir, à son tour, communiquer (ou aider à communiquer) en conscience.
Le graphisme pourrait être politique.
Travailler avec des images et des formes signifie prendre position. « Quels visuels ai-je envie de créer, dans quel cadre, pour qui et pour dire quoi ? ». Parfois, refuser de travailler sur certains projets pour ne pas aider à communiquer des choses auxquelles l’on ne croit pas. Surtout, choisir de mettre son énergie au profit d’initiatives qui nous paraissent justes. Bien sûr, admettre que ce en quoi l’on croit évolue avec nous et avec nos expériences.
Le graphisme pourrait être un service.
Chacun·e a sa propre perception du monde et ses propres valeurs, mais tout le monde n’a pas la possibilité de les faire exister visuellement. Tenter, avec sensibilité et humilité, de capter la vision et les intentions de quelqu’un·e et pouvoir les mettre en forme.
Le graphisme pourrait être lié à l’hypersensibilité.
Là où on pourrait ne voir qu’une simple forme : percevoir la force ou la patience. Un trait : la volonté. Une courbe : l’harmonie. Tenter de rendre nos existences plus poétiques, par moments, et avoir la possibilité de transmettre cette poésie à notre tour.
Le graphisme pourrait être un début de liberté.
Rendre possible, pour certain·e·s, le fait de se créer une profession qui leur correspond, de mieux en mieux, au fil de leur évolution. L’occasion de se frayer un chemin « à son image », au cours duquel tout est teinté de « graphisme » : de la communication graphique, de l’écriture graphique, de la céramique graphique, de la mode graphique, du textile graphique, des manifestations graphiques ou même des balades dans les bois graphiques. S’offrir le privilège d’une vie qui, autant que possible, nous appartienne et dont la forme évolue avec nous.
La seule chose dont je sois convaincue est que : quelle que soit la forme que prendra le monde, le graphisme y aura toujours une place.
Il y aura toujours quelqu’un·e qui aura quelque chose à exprimer et qui aura besoin de ce regard critique, conscient, politique et poétique pour le mettre en forme.
L’autre seule chose dont je suis convaincue est que, si l’on décide que toutes ces choses sont du graphisme, je suis bel et bien graphiste. Et heureuse de l’être.
Clara Lobregat Balaguer |
A lecture delivered in fragments. On the extended simile of making public as a form of bloodletting. Research or content or cultural capital as bodily humour, signaling vigor, nourishment, the imperative to circulate, and embodied practice. The independent researcher-publisher as convalescent, afflicted with all manner of precarious ills or, on the contrary, engorged with access to cultural capital and institutional resources, bound by duty to redistribute to limbs furthest away from the source, from the center of the body of knowledge. Books as leeches on the body public. Circulation as a physical act—books do not move themselves. The act of (independent, unsanctioned) publishing as a creation of value that is located in the body, because implication of the body is needed to circulate in networks.
Une conférence en fragments. Sur la comparaison étendue entre rendre des choses publiques comme une forme de saignée. Recherche ou contenu ou capital culturel en tant qu’humour corporel, signalant la vigueur, la nourriture, l’impératif de circuler, et la pratique incarnée. Le/la chercheuse éditrice indépendante en tant que convalescente, affligée de toutes sortes de maux précaires ou, au contraire, engorgée par l’accès au capital culturel et aux ressources institutionnelles, liée par le devoir de redistribuer aux membres les plus éloigné·e·s de la source, du centre du corps de la connaissance. Des livres comme des sangsues sur le corps public. La circulation en tant qu’exercices physiques ne bouge pas d’elle-même. L’acte de publication (indépendante, non sanctionnée) comme création de valeur qui se situe dans le corps, parce que l’implication du corps est nécessaire pour circuler dans les réseaux.
Common Interest |
When we think of activism, we picture protesters taking to the streets, we imagine banners and flyers carrying forth political messages, or campaigners asking us to sign a petition.
While all of these modalities are absolutely important and relevant, we may also understand activism more broadly. Simply put, activism is the taking of action to effect social change. This can happen in a myriad of shapes and ways.
At common-interest, a Basel-based non-profit practice, we are interested in using design research as a framework and tool to do activism. First and foremost, we use design as a framing to critically examine the power structure and the constructedness of our world. On a second level we use design as way to do counteraction against such structural inequalities by engaging in issue advocacy, by building collectivity, and by commoning and sharing suppressed and marginalized knowledges and stories. A true activist standpoint has to also always examine its own structures and doings, however.
As such we also need to be conscious of what our projects are about, whom they are representing and addressing, the conditions of how we work, and how sustainable this all is.
In this talk, we will walk you through some of our projects, the activist intentions behind them, and the potentials and challenges that come with doing politically engaged design research. It’s not all smooth sailing...
Quand on pense à l’activisme, on voit des manifestant·e·s descendre dans la rue, des banderoles et des tracts portant des messages politiques, ou des militant·e·s nous demandant de signer une pétition.
Bien que toutes ces modalités soient importantes et pertinentes, nous suggérons de comprendre l’activisme de façon plus générale. En termes simples, l’activisme est le fait de prendre des mesures pour provoquer un change- ment social. Cela peut se produire sous une myriade de formes et de façons.
Avec common-interest, une pratique à but non lucratif basée à Bâle, nous sommes intéressées à utiliser la recherche en design graphique comme cadre et outil activiste. Cela signifie que nous utilisons le design graphique comme une lentille pour porter un regard critique sur le monde, un moyen de rapprocher les gens et de rendre publiques des idées socialement pertinentes. La conception devient alors un moyen de mobilisation, pour construire une collectivité et partager des savoirs marginalisés. Mais un vrai point de vue activiste doit refléter ses propres structures et ses actions.
À ce titre, nous devons également être conscientes de l’objet de nos projets, des personnes qu’ils représentent et auxquelles ils s’adressent, et des conditions dans lesquelles nous travaillons.
Dans cette présentation, nous vous présenterons certains de nos projets, les intentions militantes qui les sous-tendent, ainsi que les possibilités et les défis que présente la recherche en design engagée sur le plan politique. Ce n’est pas toujours une croisière tranquille...
ōnō studio |
Quelle formation as tu suivi ? Comment tu es arrivée au design graphique ?
J’ai d’abord étudié les arts appliqués à Mons à la Haute école Louvain en Hainaut. J’ai ensuite suivi un cursus en développement front-end au centre decompétence de l’aérople de Gosselies. Au final, si je suis arrivé à la communication graphique, c’est en réaction à la publicité ultraconsumériste, celle que j’avais appris sur les bancs de l’école en cours de communication. J’étais pourtant convaincu qu’on pouvait communiquer pour «changer le monde», mais je ne savais pas encore comment. J’ai d’ailleurs débuté ma carrière dans une agence événementielle, j’ai beaucoup appris au sein des équipes à produire vite et bien. Cette expérience a également confirmé le fait que j’avais besoin de travailler de façon engagée pour des clients engagés; durable pour l’humain ou pour la planète.
Dans quel domaine du design graphique es-tu plus à l’aise et pourquoi ?
Je ne sais pas exactement ce qu’on entend par «domaine», selon mon expérience, le design graphique est une pratique qui m’intéresse si elle est exercée de façon globale et permet à la marque de parler (de bien parler) d’elle. Je ne vais donc par émettre de choix de coeur entre mise en page, webdesign, ou motion design par exemple.
Pour quelle secteur préfère-tu travailler ? As-tu un axe de recherche / de travail privilégié ?
Je pense que la motivation première est de relever un défi. Ceci passe par l’étude et l’apprentissage de ce qui constitue l’histoire du client, le dialogue entre lui & moi afin répondre par des solutions graphiques à une problèmatique donnée. Aussi, comme je le citais plus en avant, j’essaye de travailler avec des entreprises qui tendent à faire valoir des valeurs, je pense peut-être naïvement, que la communication peut changer le regard que nous portons sur ce que nous consommons et donc redonner confiance aux gens au travers des produits ou services qu’ils utilisent. Quelque part, c’est être acteur pour la nouvelle société en marche. Comment tu organises ton temps entre recherches et commandes ? La recherche fait partie intégrante de la commande, l’une ne va pas sans l’autre.
Quelle est ta méthodologie de travail ?
Il y’a toujours une phase d’écoute, on établit le dialogue avec le client, c’est la partie « psychologique » car il s’agit de déceler au travers d’un dialogue les problèmes et émettre des hypothèses de solution; mais aussi analyser l’état d’esprit général et le champ des possibles en terme de réalisation. Est-ce que la demande est juste et adaptée comparativement au souhait de base ? Sinon que proposer pour atteindre cet objectif ? La question qui domine: comment être et rester juste ? Ensuite il y’a l’atelier moodboard; chaque membre qui constitue l’entreprise est libre de donner son avis, d’interagir en réaction aux visuels proposés; après cela on atteind la partie purement créative, la recherche graphique, durant cette étape différentes pistes de réflexion seront proposées et le client choisira celle qui répond le plus à ses beoin et à ses affinités. Pour finir, une fois la piste stabilisée, on arrive à la livraison des supports qui ont fait l’objet du devis initial.
Quel projet déjà réalisé est le plus représentatif de ta pratique et pourquoi ?
Je citerais EPHREM, une manufacture de fours à bois ancrée dans la vallée de Durance (Sud de France). Ils réalisent leurs fours sur base d’une terre volcanique locale: la pouzzolane, un matériau naturellement réfractaire. Virginie et Sylvain ont racheté l’ancienne manufacture et son entrain de moderniser l’outil toute en préservant le savoir faire et la technique ancienne. Il fallait que la nouvelle identité visuelle s’inscrive dans la modernité tout en conservant une rugosité, un aspect brut; trace immuable et authentique du passé. Pour se faire le jeu typographique, la plalette couleur le lettrage, tout comme le stamp qui composent le logo ont été travaillé de façon a rappeler cette ambivalence. Le nouveau site internet et les brochures qui accompagne les différentes gammes de fours sont encore en cours de finalisation.
Si tu devais faire un pont avec une autre pratique artistique, laquelle serait- elle et pourquoi ?
L’écriture, car je vis la pratique du graphisme et chaque nouveau projet comme si j’ouvrais à chaque reprise un nouveau livre et me plongeais dedans. à chaque fois une nouvelle intrigue, une nouvelle découverte, une nouvelle issue, une nouvelle façon de faire, une nouvelle équipe. Le livre est une sommes caractère et de fontes; ma partique du graphisme est elle aussi nourrie de caractères et typographies. Qu’est ce qui nourrit / inspire ton travail / ta pratique ? Dans l’absolu, il n’y aucune règle fixe, je suis constamment en veille de ce qui se passe dans le monde du graphisme mais pas que; la recherche pour moi peut passer par un fait de société, tout comme découvrir durant une randonnée la carcasse d’un vieux tracteur bariolé de plein de typographies d’époque, ou encore la visite d’une expo, la lecture d’un bouquin. C’est un mode de vie en fait qui oscille entre imaginaire, curiosité et applications concrètes.
Tu as fait une formation davantage liée au web au début de ton cursus, comme les outils numériques évoluent très rapidement, quels sont les moyens que tu utilises pour parfaire et poursuivre ton apprentissage ?
Je pense que le seul moyen de pas perdre les pédales dans le monde-du-web-ultra-rapide, c'est de pratiquer quotidiennement, un peu comme pour la course à pied, se donner des challenges pour ne pas stagner uniquement dans son domaine de confort, tester de nouveaux langages, de nouvelles techniques se frotter à l'inconnu, rencontrer d'autres professionnels, participer à des hackathons etc. En ce qui concerne le webdesign, l'ergonomie évolue aussi continuellement, et comme on le fait tous en veille graphique; C'est important de garder un oeil sur ce qui se passe sur internet en matière de web.
Tu parles à plusieurs reprises de la notion d’engagements, de valeurs. Comment intègre-tu cette partie dans tes projets aujourd’hui ? Et comment le partages-tu avec tes commanditaires ?
Ca démarre toujours par un libre échange, un peu comme on pourrait l'avoir entre deux amis autour d'une tasse de café. Il y'a une grande partie du métier (et même de la vie) au final qui fonctionne à l'intinct, à la sensibilité, on sent si ça va le faire ou pas. Je n'ai pas vraiment de charte, d'outil ou de jauge qui me permettent de répondre de façon tout à fait construite et systématique à cette question. Je trouve que dans nos vies on analyse tout, tout le temps, on est toujours dans le contrôle. De mon coté, Dans mon métier, j’aime alors garder un part de liberté. Et donc pour en revenir à ces engagements et ces valeurs, ils émanent naturellement dans la discussion; au même titre que ceux du commanditaires. On voit si c'est un mix-match-gagnant, si nos visions coïncident, si on a quelque chose à vivre ensemble. Dans le processus de travail en tant que tel, j'essaye qu'il soit le plus collaboratif possible au sein des équipes. C'est à ce moment là que l'humain se révèle.
Tu partages souvent dans tes mots la notion de typographie. Est ce que c’est une pratique qui t’intéresse et si oui qu’est ce qui t’anime là dedans? Aimerais tu dessiner des caractères ?
La typographie c'est très important, je dirais même que ça rythme ma partique du graphisme. On dit souvent, "montre moi ton écriture et je te dirai qui tu es" propos issus de la graphologie qui pour moi se rapproche très fort de l'usage d'une fonte pour une marque. Si une écriture franche, ample et excentrique peut révéler le caractère nerveux et audacieux de son propriétaire, il en va de même pour une marque qui choisit d'arborer telle ou telle typographie. J'ai créé une typographie NOOA, il y'a plusieurs années, j'y ai pris beaucoup de plaisir à l'époque. Aujourd'hui, il y'a plein de nouveaux outils que j'aimerais essayer comme Glyph par exemple qui offre une certaine facilité dans l’exercice notamment pour la création de fontes variables; Toutefois pour bien faire, il faut se donner le temps et c'est un métier à part entière. Métier avec lequel je renouerai peut-être un jour.
Tu parles du projet EPHREM basé en France. Dans quel rayon géographique se retrouve les porteurs de projets que tu accompagnes ? Qu’elle est ta méthodologie pour parvenir à rencontrer de nouveaux clients ?
J'accompagne des entreprises géolocalisées un peu partout dans le monde au final. Surtout en Belgique, en France et à New-York. Ca c'est naturellement fait et je pense que la plateforme Behance sur laquelle je suis présent et pas mal visité joue un rôle dans ce maillage.
Émilie Aurat |
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Les systèmes d’écritures sont les témoins des événements et renversements géopolitiques dans l’Histoire. Dans un même temps, ils sont le terrain d’enjeux culturels et sociétaux.
En tant que dessinatrice de caractère je me suis intéressée à la problématique de dessiner une police pour un système d’écriture épris de problématiques sociétales dues au colonialisme.
Comment les problématiques culturelles et identitaires au sein d’une population influencent-elles la genèse d’un système d’écriture? Comment, à son tour, le design typographique et la représentation dans les outils numériques influencent-ils la visibilité de ces identités et cultures?
C’est sur le cas du système d’écriture créole Afáka que j’ai effectué un travail typographique visant à mettre en lumière les différents enjeux, depuis sa création du système d’écriture jusqu’à son design et son entrée prochaine dans l’Unicode. J’ai tenté par là un travail de valorisation d’une culture invisibilisée à travers la proposition d’une famille de police de caractère.
Bien qu’il soit originaire du Suriname, l’Afáka est représentatif de notre héritage sociétal des enjeux du colonialisme dans la culture graphique et linguistique africaine. Dans cet article je détaillerai quels liens généalogiques ce syllabaire d’écriture marron entretien avec les systèmes d’écritures du continent Africain, et quels enjeux cela entraîne pour son développement dans les outils numériques. Dans un premier temps nous ferons connaissance avec ces systèmes d’écritures africains, nous aborderons ensuite le cas de l’Afáka
C’est à l’Atelier National de Recherche Typographique, que je me suis intéressée aux systèmes d’écriture africains et créole et leur lien entre eux.
Ce projet a été soutenu entre 2018 et 2020 au sein du programme Missing Scripts, créé par Johannes Bergerhausen et Jérôme Knebusch, fondateurs du projet The World’s Writing Systems et Decode Unicode, et a été principalement encadré par la professeure et typographe Émilie Rigaud. Le programme est mené en collaboration avec The Script Encoding Initiative, représentée par la Dr. Deborah Anderson, qui fait également partie du consortium Unicode.
Les données de cette étude s’appuient principalement sur celles du projet The World’s Writing Systems et celles délivrées par le consortium Unicode. Cependant, des systèmes d’écritures possédant moins d’informations comme celles mentionnées dans les écrits de Saki Mafundikwa ont été intégrées à ces analyses afin d’établir un point de vue plus complet du sujet.
On peut séparer l’Histoire des systèmes d’écritures africains en deux périodes. La première, la plus longue, s’étend de -XIIIe au IVes. On peut la considérer comme les premiers temps de l’Écriture. Cette période compte majoritairement des systèmes d’écritures hiéroglyphiques. Dans un second temps, à partir de 1830 jusqu’à nos jours, 36 systèmes d’écritures seront créés. Ces deux périodes sont donc séparées par seize siècles avec aucun nouveau système d’écriture recensé à ce jour. Cette résurgence en 1830 correspond à un période de « décolonisation » et d’un protectorat des États occidentaux sur les pays du continent africain. Comme en réaction aux événements politiques et sociétaux, ce contexte amène une recherche d’identité culturelle et graphique à travers l’écriture. Il est à noter que chaque période de création de systèmes d’écriture correspond à l’importation de systèmes d’écriture par des populations extérieures, pour des relations commerciales mais également des systèmes de domination. L’arrivée du latin précède de peu la seconde vague de création de systèmes d’écritures.
La création ou l’importation d’un système d’écriture est souvent accompagnée d’un contexte socio-historique. On note alors deux démarches de créations différentes :
La première est une influence externe : à l’initiative de missionnaires qui utilisèrent des symboles locaux, comme pour l’alphabet Nigérian, le Medefaidrin. La seconde est à l’initiative des natifs, en réaction à une culture dominante et le besoin de valoriser sa propre identité culturelle et graphique : C’est le cas du Bamoun, un syllabaire camerounais. De même que les contextes sociétaux et politiques influent sur la création d’un système d’écriture, ils ont des conséquences sur l’altération de ces savoirs.Bien qu’interdit en 1936, le Medefaidrin, qui reprend des symboles ancestraux, survécut, mais finit par se dissoudre durant les guerres civiles. Le Bamoun a été inventé par le roi Njoya à la fin du XIXe s, mais le régime colonial en a détruit jusqu’aux presses qui en imprimaient les ouvrages. Ces systèmes d’écriture sont déclinés voire disparus pour être remplacés par l’alphabet latin.
D’après les données à disposition, ce sont les pays du golfe de Guinée qui recensent le plus d’activités au niveau des systèmes d’écriture. La plupart date de la seconde vague de création.
Par ailleurs, nous verrons que celles-ci sont d’ailleurs trés liées généalogiquement.
D’après les sources à dispositions, l’Afáka est particulièrement lié aux systèmes d’écriture du golfe de l’Ouest de l’Afrique. L’hypothèse serait que les symboles auraient été exportés avec les esclaves jusqu’en Amérique du Sud, conservés par leur descendants au sein des sociétés marronnes, et finalement ré-utilisés au sein d’un système d’écriture.
Le peuple Ndjuka est une population installée le long du fleuve Maroni. Il fait partie des peuples dits Marrons, les esclaves fugitifs ayant résisté à la domination occidentale et à la colonisation. Cette société métissée se compose en majorité d’esclaves africains déportés et d’un pourcentage plus faible de natifs américains. Ensemble, ils construisent de nouvelles sociétés alternatives sur la base de la rencontre entre leurs différentes cultures et connaissances respectives.
Jean-Yves Parris, dans son livre Interroger les morts, a produit une analyse du deuil chez les Ndjukas. Il y souligne la problématique de la perpétuation des traditions. Il s’interroge sur la place que notre société contemporaine donne aujourd’hui à la société Ndjuka. Il démontre alors que toute réflexion sur l’évolution culturelle n’est pas anodine et renvoie systématiquement à une question identitaire.
Dans cette veine, nous pouvons nous interroger sur ce que la création du syllabaire Afáka puis son développement dans les outils numériques entraînent pour le futur de la culture Ndjuka.
Le syllabaire a été créé autour de 1800. D’après la légende, son créateur, Afáka Atumisi aurait vu en songe un esprit qui lui aurait ordonné de créer une écriture pour son peuple. Ce n’est qu’en 1810, lors du passage de la comète de Halley, que Afáka Atumisi interpréta cela comme un signe pour diffuser le syllabaire.
De nombreux protagonistes se rencontrent autour de la genèse du système d’écriture. Tout d’abord Afáka Atumisi, et les premiers initiés, à qui il enseignera le système d’écriture. Ensuite, ce sont les missionnaires et scientifiques occidentaux qui entament des démarches d’ initiations auprès des usagers Ndjukas afin de faciliter leur christianisation. L’Afáka devient alors un terrain d’ enjeux culturels qui se heurtent à la tradition marrone de la population. En créant un langage écrit et en le diffusant (non-seulement à des Ndjuka mais aussi à des occidentaux ) Afáka Atumisi va à l’encontre d’une hiérarchie établie au sein de la population. Le système d’écriture sera par la suite interdit par les autorités Ndjukas, et son développement restera très localisé.
Depuis 1810, la transmission du système d’écriture est assurée par les Edebukumans (littéralement, Head Book Man, L’Homme à la tête de l’écriture), qui se transmettent la responsabilité du devenir de l’écriture. Le premier était Afáka Atumisi, et aujourd’hui, l’actuel Edebukuman le spécialiste André Pakosie.
Aujourd’hui parmi les documents traitant du syllabaire on compte essentiellement des éditions présentant et traduisant des archives, afin de relater l’Histoire de la population, ses mœurs et ses traditions. Mais on trouve également des livres de grammaire pour apprendre à utiliser et lire le système d’écriture. Enfin, nous devons mentionner le travail d’artistes tel que Marcel Pinas qui réutilisent le patrimoine Ndjuka, dont le syllabaire dans leurs œuvres.
Le syllabaire compte à ce jour peu d’usagers : à peine 5% des locuteurs du Ndjuka écrivent avec le syllabaire d’ Afáka Atumisi. Il est tout de même à noter, selon les observations de A.Pakosie, une recrudescence de l’intérêt de la jeune génération pour l’Afáka. Je mentionnerai pour ma part le travail de recherche du typographe Agyei Archer qui s’interrogeait sur la création de diacritiques.
L’Afáka est un syllabaire comprenant 36 glyphes. Parmi elles, on compte six nouveaux glyphes créés par André Pakosie adaptés à la langue contemporaine des Ndjukas. Deux d’entre elles sont des ponctuations (Point et Point d’interrogation). Enfin le syllabaire possède un idéogramme qui représente la comète de Halley.
La destination de cette future police a été définie en vue de la nature des documents qui nous sont parvenus. Comme mentionnés auparavant, les manuscrits rédigés avec de l’Afáka sont aujourd’hui mis en page avec des textes expliquant leur contextes historiques, proposant des traductions, ou encore dans des livres d’apprentissage de la lecture. À partir de là, le but était de produire un caractère qui promulguerai et valoriserai la culture Ndjuka à travers ce type de publication.
Le caractère a donc été dessiné à partir de deux étapes : Tout d’abord chaque glyphe a été répertorié dans ses diverses apparitions, afin de déterminer ses formes les plus courantes, et la place que celles-ci tiennent au sein d’un texte dans l’édition annexe Afáka, the Ndjuka Writing System. Ce document les datait, les classait par type, indiquait les différents auteurs et référençait l’occurence de leur apparition et leur comportement dans un texte. Ensuite, en respectant la tradition Ndjuka en se référant régulièrement au spécialiste désigné de l’écriture, l’Edebukuman André Pakosie.
D’après les sources que l’on dispose aujourd’hui, la police de caractère pour le syllabaire Afáka est dessinée pour côtoyer l’alphabet latin, à la manière dont le Ndjuka cohabite avec des langues occidentales.
On distingue cependant deux contextes : Dans un premier temps, des textes en latin parlant du système d’écriture Afáka. Ils en montrent chaque forme, plutôt isolée. Dans un second temps, des paragraphes Ndjuka rédigés en Afáka suivies de différentes traductions, avec le système d’écriture latin. Deux graisses seront proposés pour ces deux types de contextes
Selon l’Annexe qui répertoriaient les différents formes pour chaque syllabe, certains caractères écrits à la main proposent des variations. On peut en rapporter en 4 natures :
Les syllabes [KO] Q et [GO] S remettaient d’autant plus en question les hauteurs, la répartition des ascendantes et descendantes de la fonte, car elles prêtent aisément à confusion entre elles.
Certains caractères présentaient des orientations différentes : horizontales, verticales, en miroir... Cela répond à la manière dont l’auteur va spontanément exécuter la forme.
On peut observer chez le [DO] des degrés différents de rotondité.
La gestuelle de l’auteur influence le dessin du glyphe dans sa fluidité et sa (non-)cursivité.
Des terminaisons en boucles pouvaient devenir des ronds comme sur la syllabe [ WE/WI ].
Chaque caractère comportait des niveaux différents de géométrisation ou d’essentialisation de son dessin selon l’interprétation qu’en avait l’auteur.
Les caractères suivants prêtaient facilement à interprêtation. La syllabe BO était, selon certains auteurs familiers au latin très ressemblante à un dessin de plume, tandis que la syllabe A était souvent dessinée comme un a bas-de-casse scripte.
Ces exemples de glyphes presque figuratifs ou très ressemblants à des lettres ou chiffres utilisés en Europe posaient la question d’une possible sur-interprétation de la forme.
Pour une syllabe, les formes de glyphes sont souvent disparates d’une source à l’autre. De plus, certaines syllabes prêtaient facilement à confusion. Dans ces cas ambigus, se rabattre sur d’ autres formes aurait permis une identification plus fluide. Cependant cette option aurait sûrement conduit à des absurdités, en mélangeant des variations de différentes périodes. En effet sont-elles aussi lisibles pour des usagers aujourd’hui qu’elles l’étaient en 1910 ? Ce dilemme est étroitement lié à une deuxième difficulté : celui du choix des sources. Il ne s’est pas seulement agi de choisir une source et d’en faire une traduction vectorielle. Il fallait également sélectionner les documents les plus cohérents avec mon propos. C’est à partir de ce travail éditorial de l’annexe Afáka, the Ndjuka Writing System que sont esquissés les premiers dessins du système d’écriture. Mais ce sont bien les commentaires de A. Pakosie qui m’ont fait trancher sur les formes à choisir.
À l’issue des recherches, deux graisses ont été proposées. Elles sont adaptées à deux types d’utilisation : Tandis qu’une première version Demi est adaptée au premier cas, pour une mise en valeur des caractères Afáka isolés à l’intérieur d’un texte latin, des caractères Regular proposent de s’adapter à l’usage d’un texte de traduction, qui compte des paragraphes entiers rédigés en Ndjuka.
Deux sets stylistiques typographiques pour chacune des deux graisses sont proposés au terme de cette recherche. La première contient les formes les plus horizontales, la seconde, les verticales. Ainsi, l’utilisateur peut choisir entre deux ensembles, ou individuellement, caractère par caractère, selon son usage des fontes.
Le syllabaire Ndjuka d’Afáka Atumisi devrait intégrer prochainement l’Unicode. Il est encore trop tôt pour prédire alors, la suite de son évolution.
Mon intention derrière ce projet typographique est de proposer un design suffisant à assez d’usages et de contextes pour qu’une valorisation de la culture Ndjka soit possible. Ce projet est une proposition parmis de nombreuses autres. Mon interêt est le rôle des système d’écriture comme affirmation d’une culture.
Writing systems are witnesses to geopolitical events and reversals in history. At the same time, they are the terrain of cultural and societal issues.
As a type designer and researcher, I have been interested in the problem of designing a font for a writing system imbued by societal problems caused by colonialism.
How do cultural and identity issues of a population influence the genesis of a writing system? How do typographic design and representation in digital tools influence the visibility of these identities and cultures?
I choose to carried out a typographic work on the case of the Afáka, a Creole writing system. This syllabary get a strong african legacy. The goal was to highlight the different issues at stake, from the creation of the writing system to its design and its future entry into Unicode. In this way, I attempted to find a way to valorized an invisible culture through the proposal of a font family.
The Afáka writing system is originally from Suriname, but is although representative of our societal heritage of the challenges of colonialism in African graphic and linguistic culture. In this article, we will see the genealogical links between this marroon syllabary and the writing systems of the African continent. Then, we will study the consequences for its development in digital tools. First, we will get acquainted with these African writing systems, to discuss the case of Afaka.
It was at the Atelier National de Recherche Typographique, that I began to investigate African and Creole writing systems and the link between them.
This project was supported between 2018 and 2020 within the Missing Scripts Program, created by Johannes Bergerhausen and Jérôme Knebusch, founders of The World’s Writing Systems and Decode Unicode project. This was mainly supervised by the professor and type designer Émilie Rigaud. The program is conducted in collaboration with The Script Encoding Initiative, represented by Dr. Deborah Anderson, who is also part of the Unicode consortium.
The data are mainly based on those of The World’s Writing Systems project and the ones delivered by the Unicode consortium, in 2018. However, some writing systems informations are not part of these data, such as those mentioned in Saki Mafundikwa’s writings. They were included in these analyses in order to establish a more complete view of the subject.
The history of writing systems from the African continent can be divided into two periods. The first, the longest, extends from the -13th to the 4th centuries. It can be considered as the earliest times of Writing Systems. In this period there are mainly hieroglyphic writing systems. The second period is briefer but got the most of the african writing system : From 1830 to the present day, 36 writing systems were created. These two periods are separated by sixteen centuries with no new writing systems recorded. This resurgence in 1830 corresponds to a period of «decolonisation» and a protectorate of Western states over the countries of the African continent. As a reaction to political and societal events, this context led to a search for cultural and graphic identity through writing. It should be noted that each period of creation of writing systems corresponds to the importation of writing systems by external populations, for commercial relations but also for relations of domination. The arrival of Latin comes just before the second wave of creation.
Creating or importing a writing system is often accompanied by a socio-historical context. Two different creative approaches can then be noted. The first is an external influence : on the initiative of missionaries who used local symbols, as in the case of the Nigerian alphabet, the Medefaidrin. The second is at the initiative of the natives, in reaction to a dominant culture and the need to value one’s own cultural and graphic identity : This is the case of the Bamoun syllabary, from Cameroon. In the same way that societal and political contexts influence the creation of a writing system, they also have consequences on the alteration of this knowledge. Although banned in 1936, the Medefaidrin, which takes up ancestral symbols, survived, but has been dissolved during the civil wars. The Bamoun was invented by King Njoya at the end of the 19th century, but the colonial regime destroyed even the presses that printed its works. These writing systems were declined or even disappeared, to be replaced by the Latin alphabet.
According to the available data, the Gulf of Guinea is the area with the most activity in terms of writing systems. Most of them date from the second wave of creation.
Moreover, we will see that they are very genealogically linked.
According to available sources, Afáka is particularly linked to the writing systems of the West African Gulf. The hypothesis is that the symbols were exported with the slaves to South America, then, preserved by their descendants in Maroon societies, and finally reused within a writing system.
The Ndjuka people are a population based along the Maroni River. They are part of the so-called Maroon people, fugitive slaves who resisted from domination and colonisation. This mixed society is made up mainly of deported African slaves and a smaller percentage of native Americans.They build alternative societies on the basis of the encounter between their different cultures and knowledge.
Jean-Yves Parris, in his book Interroger les morts, proposed an analysis of mourning among the Ndjukas. In it, he underlines the problem of the perpetuation of traditions. He wonders about the place that our contemporary society gives to the Ndjuka today. He then demonstrates that any reflection on cultural evolution is not insignificant and systematically refers to an identity question.
In the same demarch, we can ask ourselves what the creation of the Afáka syllabary and its development in digital tools, will bring for the Ndjukas culture.
The syllabary was created around 1800. According to legends, its creator, Afáka Atumisi, saw a spirit in a dream. It ordered him to create a new script for his people. It ’s only in 1810, when Halley’s Comet passed through the sky, that Afáka Atumisi took it as a sign to spread the syllabary.
Many protagonists meet around the genesis of the writing system. The first one is Afáka Atumisi, and then, his first disciples, to whom he taught the writing system. Then, it was the european missionaries and scientists who began research with the Ndjukas in order to facilitate their christianisation. The Afáka writing system then becomes a field of cultural issues that clash with the Maroon tradition of the population. By creating a written language and spreading it Afáka Atumisi goes against the established hierarchy within the population. The writing system was later forbidden by the Ndjukas authorities, and its development remained very localised.
Since 1810, the transmission of the writing system has been carried out by the Edebukumans (literally, Head Book Man), who pass on to each other the responsibility for the future of writing. The first one was Afáka Atumisi, and today, the actual Edebukuman is the specialist André Pakosie.
Today, the documents reporting on the syllabary are mainly presenting and translating archives. They relate the History, the customs and the traditions of the Ndjukas population.
But we can also found grammar books which teach how to use and read the writing system. Finally, we must mention the work of artists such as Marcel Pinas who use the Ndjuka heritage, including the syllabary in their works.
The syllabary has now very few users : barely 5% of Ndjuka speakers write with the Afáka Atumisi syllabary. Nevertheless, according to A. Pakosie’s observations, there is a growing of the interest in Afáka among the young generation. For my part, I would like to mention the research work of the typographer Agyei Archer, who wondered about the creation of diacritics.
The Afáka is a syllabary composed of 36 glyphs. Among them, six new glyphs has been created by André Pakosie in order to be adapted to the Ndjukas’ contemporary language. Two of them are punctuation marks (Period and Question Mark). Finally, the syllabary has an ideogram glyph representing Halley’s comet.
The destination of this future font has been definedaccording to nature of the sources that have come down to us. As mentioned before, the manuscripts written in Afáka are nowadays laid out with texts explaining their historical contexts, offering translations, or in books teaching reading. From this point on, the aim was to produce a typeface that would promulgate and promote Ndjuka culture through this type of publication.
The typeface was therefore designed with two steps : Firstly, each glyph was catalogued in its various appearances, in order to determine its most common forms, and the place they hold within a text in the companion edition Afáka, the Ndjuka Writing System.This document dated them, classified them by type, indicated the different authors and referenced the occurrence of their appearance and their behaviour in a text. Secondly, by respecting the Ndjuka tradition and regularly referring to the specialistof the syllabary, the Edebukuman André Pakosie.
According to the sources available today, the font of the Afáka syllabary is designed to co-exist with the Latin alphabet, in the same way that Ndjuka co-exists with Western languages.
However, two contexts can be distinguished : In the first instance, texts in Latin speak of the Afáka writing system. They show each form of it in rather isolated form. Secondly, Ndjuka paragraphs written in Afáka followed by different translations, with the Latin writing system. Two grease are proposed two be adapted to this different contexts.
According to the Appendix, which listed the different forms for each syllable, some handwritten characters offer variations. These can be reported in 4 types :
The syllables [KO] Q and [GO] S questioned even more the heights, the distribution of ascending and descending of the melt, because they are easily confused with each other.
Some of the characters had different orientations : horizontal, vertical, mirrored... This follows the way the author will execute the form.
Different degrees of roundness can be observed in some glyphs like this [DO] syllable.
The author’s gestures influence the drawing of the glyph in its fluidity and (non-)cursiveness.
As in the syllable [ WE/WI ], looped endings could become circles.
According to the author’s interpretation, each typeface had different levels of geometrisation or essentialisation of its design.
-Interpretation :
This characters were easily interpretable. The BO syllable was very similar to a pencil drawing, while the A syllable was often drawn as a scripted lowercase.
These examples of glyphs that are almost figurative or very similar to letters or numbers used in Europe et interrogate a possible over-interpretation of form.
For one syllable, the forms of glyphs are often dissimilar from one source to another. Moreover, some syllables were easily confusing. In these ambiguous cases, to fall back on other forms would maybe allowed a more fluid identification. However, this option would surely have led to absurdities, by mixing variations from different periods. Indeed, are they as legible to users today as they were in 1910? This dilemma is closely linked to a second difficulty : the choice of sources. It was not just a matter of choosing a source and translating it into a vectorial translation. It was also a question of selecting the documents that were most consistent with what I was trying to achieve.It was from the editorial work of the Afáka, the Ndjuka Writing System annex that the first drawings of the writing system were sketched out. And these are indeed A. Pakosie’s comments made me decide on the forms to choose.
At the end of the research, two grease have been proposed. These are adapted to two type of used : A Demi version is adapted to the first case, for a highlighting of the isolated Afáka characters within a Latin text, and Regular characters propose to adapt to the use of a translation text, which includes whole paragraphs written in Ndjuka.
Two typographic style sets for each of the two weights have been proposed. The first contains the most horizontal forms, the second contains the vertical ones. Thus, the user can choose between two sets, or individually, character by character, depending on his use of the fonts.
The Ndjuka syllabary of Afáka Atumisi is planned to integrate Unicode in the near future. It is still too early to predict its further evolution.
My intention behind this typographic project is to propose a design with enough uses and contexts for a valorisation of the Ndjka culture to be possible. This project is a proposal among many others. My interest is the role of writing systems as an affirmation of a culture.
Jean-Yves Parris, 2007
« Usages de l’histoire des Premiers Temps chez les Marrons ndyuka »
Sous la direction d’ Isabelle Léglise, Bettina Migge,
Pratiques et représentations linguistiques en Guyane, p. 251-262, IRD Éditions, Paris, 2007,
[ En ligne ] books.openedition.org/irdeditions/6954?lang=fr
Jean-Yves Parris,2011
« Interroger les morts, Essai sur la dynamique politique
des Noirs marrons ndjuka du Surinam et de la Guyane »
Espace outre-mer, Ibis Rouge Editions, Matoury, Guyane, 2011
J. Voorhoeve and H. C. Van renselaar, 1962
« Messianism and nationalism in Surinam »
Bijdragen tot de Taal-, Land- en Volkenkunde, Deel 118, 2de Afl. (1962), pp. 193-216
[ En ligne ] https ://www.jstor.org/stable/27860356
J. W. Gonggryp
« The Evolution of a Djuka-Script in Surinam »
Nieuwe West-Indische Gids / New West Indian Guide, 40ste Jaarg. (1960-1961), pp.63-72
Brill on behalf of the KITLV, Royal Netherlands Institute of Southeast Asianand Caribbean Studies, Arts et Sciences IX Collection, Iberoamérica Collection, JSTOR Archival Journal et Primary Source Collection
Isabelle Léglise, Bettina Migge
« Grammaire du nengee Introduction aux langues Aluku, Ndyuka et Pamaka »
IRD Éditions, Institut de Recherche pour le Développement, Collection Actiques, Paris, 2003
Karen Fiss, 2009,
« Design in a Global Context : Envisioning Postcolonial and Transnational Possibilities »,
Design Issues, Volume 25, Number 3 Summer 2009
Kurt Campbell, 2009,
Michaelis School of Fine Art, University of Cape Town
« Negating the serif : postcolonial approaches to Typeface design »
12th National Design Education Forum Conference Proceedings, 4-5 Nov 2009, Graaff Reinet, South Africa The Design Education Forum of Southern Africa
[ En ligne ] https ://www.defsa.org.za/papers/negating-serif-postcolonial
« Language and History in Africa »
A volume of collected papers presented to the London seminar on language and history in Africa
(held at the Scool of Oriental and African Studies, 1967-69), éd. by David Dalby
Michael Everson, 2012,
« Revised proposal for encoding the Afáka script in the SMP of the UCS »
UC Berkeley Script Encoding Initiative (Universal Scripts Project), 2012, Berkeley
[ En ligne ] http ://www.linguistics.berkeley.edu/sei/scripts-not-encoded.html
Peter T. Daniels, William Bright, 1996
« The World’s Writing Systems »,
[En ligne] Oxford University Press
Montasser Drissi, 2018,
Compte-rendu de recherche 2016 / 2018 « À quoi doit ressembler un Alef ? »
Atelier National de Recherche Typographique, 2016 / 2018
Morgane Pierson, 2017
Compte-rendu de recherche 2016 / 2018 « Affiche, Nsibidi et Elymaic »
Atelier National de Recherche Typographique, 2017 / 2019
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Langage Culture Type International type design in the age of Unicode »
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ATypI-Graphis, 2002
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« Afrikan Alphabets, The story of writing in Afrika »
Mark Batty Publisher, New York, 2004
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« De l’écrit africain à l’oral. Le phénomène graphique africain »
318 p., bibliogr, ill.,L’Harmattan, Paris, 2006
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« Histoire du graphisme avant la modernité en trois temps et cinq mouvements
– Premier temps. Avant l’écriture – Premier mouvement. Muthôs »,
École Supérieure d’art de Cambrai
Éditions Franciscopolis, Les Presses du Réel, Le Havre, 2018
Pierre Fournier, 2015,
Compte-rendu de recherche 2015 « Les signes sur le mur »
Atelier National de Recherche Typographique, 2015
University of Hawai’i Press, 1975
« Bush-Negro Languages »
Oceanic Linguistics Special Publications, No. 14, A Bibliography of Pidgin and Creole Languages (1975),
pp. 463-467, [ En ligne ] JSTOR www.jstor.org/stable/20006640
University of Reading
« Non-Latin Typefaces »
At St Bride Library, London And Department Of Typography Graphic Communication
Atelier Brenda |
We will talk how we manage our studio without having a studio. We will show our methodes of working and how we are trying to find the balance in our flexible, always changing and unstable studio.
Graphisme & féminisme |
La table ronde Graphisme & féminisme abordera la question des représentations de genre dans le domaine du graphisme et proposera une série d’outils pour des représentations plus inclusives — tant dans l’organisation d’événements que dans les pratiques quotidiennes du graphisme.
Suite à cette discussion, une soirée de conférences permettra de découvrir le travail des graphistes Hélène Mourrier, Roxanne Maillet et Sara De Bondt, invitées autour de la thématique de la journée, chacune accordant sa pratique du graphisme à une approche féministe située.
Benjamin Dumond |
(ಥ﹏ಥ)
Si vous n’êtes pas étranger au monde des rêves, et que, par la force des choses, vous vous êtes souvent retrouvé à parcourir les récits nocturnes d’autres onironautes, vous n’aurez sûrement pas manqué une constante récurrente sur laquelle presque tous les rêveurs s’accordent : lire pendant un rêve est loin d’être simple. Abordez un paragraphe au royaume de Morphée et vous verrez les phrases n’être que des enchaînements de symboles confus, se métamorphosant autant de fois que le regard s’en détourne. La nuit, à travers le prisme de notre inconscient, quand les lettres ne sont plus chorégraphiées par Ombre et Lumière, le texte ne peut s’empêcher de se dérober, comme si gêné, il ne savait plus quoi faire de lui-même.
Rien n’empêcherait de poursuivre cette réflexion par ce qu’en disent les neurosciences : certaines zones du cerveau dédiées au langage sont moins actives durant notre sommeil qu’à l’état de veille, rendant confuse toute forme de communication verbale ou écrite. La réflexion-fiction engagée ici propose cependant d’explorer cette curiosité sous un autre angle et plante le décor suivant : et si nous n’étions tout simplement que conditionnés à penser l’écriture de manière concrète, matérielle et technique mais rarement de manière abstraite, la rendant incapable de se laisser aller librement au jeu dansant des recompositions de l’inconnu, empêchant ainsi les rêveurs d’arriver à concevoir nos paradigmes d’écriture autrement.
Pour y voir plus clair dans la manipulation de notions abstraites, il m’arrive d’explorer ce genre de problème en les anthropomorphisant tout comme le ferait un rêve. Que l’écriture se refuse autant à jouer le jeu de l’introspection propre aux songes, m’emmène à l'imaginer comme un être tourmenté par l’accumulation de dénis centenaires. Dans un coin de ma tête, je m’improvise thérapeute et, la faisant s’allonger sur un divan, je l’interroge : jusqu’où, Écriture, êtes-vous prête à accepter ce que l’on attend de vous sans rien dire ? Comment faites-vous la part des choses entre vos désirs et ceux que l’on vous impose ? Et si vous dépassiez la pression de votre surmoi, que souhaiteriez-vous être que pour l’instant vous n’êtes pas ?
Depuis quelques années, ces expériences de pensée m’ont rendu particulièrement curieux de la place que l’on accorde à l’imaginaire dans la production typographique et plus particulièrement du rôle qu’il y joue. Un grand écart constant s’opère dans ma tête entre d’un côté la réalité d’un marché, d’une histoire, de besoins, et de l’autre le fantasme de caractères dont la description serait au-delà du possible. Plus d’une fois des rêves m’amenèrent à penser que cette tension entre typographie du possible et typographie de l’impossible, extrêmes frontières d’un pays moins balisé qu’il n’y parait, pourrait trouver aujourd’hui dans un contexte de production inédit dans l’histoire de notre écriture un terreau vivace pour son développement.
Dans des moments où, le regard perdu dans un ciel nocturne dont la noirceur et l’immensité ne me laisse d’autre choix que de prendre du recul sur toutes les choses que je pense aller de soi, le business contemporain de la typographie m’apparaît à la fois incroyable et absurde. On y markette chaque jour l’art solide du langage, une invention au moins vieille de 6000 ans, tellement sur présente et ancrée dans nos existences qu’elle est indissociable du surpuissant développement de nos civilisations actuelles. Pourtant, ces incarnations «.otf» de nos écritures, dont chacune exerce à son échelle une infime pression sur l’évolution que suivront les formes des alphabets de demain, sont pour une écrasante majorité pensées, conçues, vendues et utilisées comme des produits de consommation lambda.
Dans le Sefer Yetsirah, récit cosmogonique de la mystique juive, une divinité crée l’entièreté du monde par des combinaisons secrètes de lettres sacrées, lancées à travers le non-être infini. Les kabbalistes perçoivent l’alphabet comme un objet métaphysique dont des générations entières d’occultistes ne pourraient qu’à peine effleurer les abysses. Face à ces récits, je ne peux m’empêcher de laisser s’ébranler mes certitudes. N’y a-t-il rien de plus à souhaiter à nos alphabets que le champ pratico-pratique dans lequel nous les parquons aujourd’hui ? En tendant l’oreille, il me semble les entendre murmurer une prière à Thoth, implorant que soit maintenant chassés les marchands du temple.
(╯□)╯︵ ┻━┻ ιαω
De notre naissance à notre mort, nous baignons dans l’écriture comme nous baignons dans l’atmosphère. L’agréable et tiède chaleur des lettres nous enveloppe et la lecture, comme une respiration, nous traverse d’une manière tellement évidente et ancrée qu’elle en est invisible. En lisant, le sens du texte est si éblouissant qu’il nous empêche de percevoir la pièce de théâtre de signes nécessaires à l’opération. La forme s’efface au service du fond comme un lac cristallin où faune et flore semblent léviter.
Nos lettres, acceptant les rôles des mots et des phrases, nous servent autant à nous orienter au travers de nos villes labyrinthiques que dans l’immensité d’internet. Elles sont les clefs fractales d’accès à une infinité de récits, des plus techniques aux plus fantastiques, portant parfois leurs messages sur des milliers d’années. Elles nous informent autant sur les composants d’un papier toilette qu’elles ordonnent les plus complexes formules mathématiques et abstraient des lois physiques à la source du fonctionnement même de notre réalité.
Leurs qualités sont pourtant loin d’être reconnues tant nous associons indistinctement forme et fond du texte, tant on nous a appris à ne pas conscientiser leur fonctionnement, au point-même de porter en étendard l’idée qu’il pouvait être normal de privilégier ce qu’une phrase raconte plutôt que comment elle le raconte. Pourtant, si nos characters étaient les comédiens d’une pièce de théâtre, jamais nous n’imaginerions balayer d’un revers de main toutes les possibilités des jeux d’acteurs, conçus ou improvisés depuis des milliers d’années, l’alchimie unique d’une troupe, sous le prétexte qu’il faut être le plus invisible possible pour laisser la vedette au texte de la pièce elle-même.
Un rêve commence... laissons place à un autre pan de réalité.
꒡ᘦ̲꒡ zzz
Nous sommes dans un grand théâtre dont la scène est construite et décorée avec soin par un expert. Une troupe de comédiens se met en place. Il leur arrive certains soirs de venir habillés de manière neutre, jean et t-shirt, mais ils ont décidé aujourd’hui de sortir le grand jeu et se sont déguisés. On leur a souvent reproché que le théâtre était ennuyeux, alors, par leurs costumes, ils espèrent installer une ambiance en jouant de codes culturels communs entre eux et les spectateurs. Ils sont méticuleusement placés selon une disposition pensée par le metteur en scène, qui utilise une méthode que ses prédécesseurs perpétuent depuis des centaines d’années : la hiérarchisation des rôles. Certains sont placés en avant de la scène et d’autres en arrière, mettant ainsi en évidence l’importance des personnages dans l’acte. Après qu'ils se sont installés, la pièce commence tandis que la salle reste allumée. Pendant trois heures les comédiens déguisés récitent leur texte d’une voix limpide tout en restant immobiles. De temps en temps une voix off, appelée voix italique, donne quelques indications traversant le quatrième mur comme des monologues intérieurs aux personnages, des descriptions ou contextes, ou la traduction de tirades jouées en langue étrangère. Il n’y a pas, dit-on, de meilleure manière que ces deux mécanismes pour donner à voir les intentions profondes du dramaturge et personne dans la salle ne semble en douter.
À la sortie de la pièce il est difficile de dire si les spectateurs sont conquis ou non par la mise en scène, mais la plupart sont d’accord pour dire que le texte était excellent. Quelques spécialistes du théâtre s’accordent sur les costumes apparemment bien cousus et l’un d’eux s’aventure même à dire que la maîtrise avec laquelle les tenues jouaient des codes contemporains tout en étant dans une continuité logique de l’histoire du théâtre était d’une intelligence rare. La voix de l’italique cependant ne fait pas l’unanimité, jugée absurde et en total désaccord avec le reste. Certains ne comprennent pas non plus pourquoi le metteur en scène utilise autant d’acteurs, alors qu’il aurait tout simplement pu se limiter à un seul habillé d’un costume variable, une invention américaine permettant à une personne d’endosser plusieurs rôles à la suite, en métamorphosant ses tenues au besoin. Il était devenu évident selon eux qu’il s’agissait d’un standard d’avenir, car en gardant le même visage pour tous les rôles à jouer la pièce devenait plus logique, harmonieuse et compréhensible. Les rares non-spécialistes qui traînent encore par là acquiescent, même s’ils n’y comprennent pas grand-chose. Qui sont-ils pour donner leur avis sur comment devrait se dérouler une pièce ? S’ils ne décèlent pas pourquoi la mise en scène était géniale, en tout cas, ils ont bien aimé le texte...
(-‸ლ)
Le rêve s’estompe... un bout de conscience nous rappelle du côté du miroir où nous avons conscience des réelles richesses du théâtre, que cette dystopie un brin poussive permet de faire ressortir : ce qui fait du théâtre un art unique ce ne sont pas ses costumes ni ses décors, mais ses inventions propres qui ne peuvent se jouer dans d’autres disciplines : le travail d’un lieu, un temps, un acte et un public. Parler le langage de la création en théâtre, c’est avoir une idée dans la matière même de ce qui le rend unique et lui donner vie par tous les moyens à notre disposition. Il y a acte de création théâtrale quand les costumes, décors, acteurs, lumières, musiques ne sont pas vus comme des fins en soi, mais qui par leur alchimie donnent naissance à quelque chose qui n’aurait pas pu prendre corps dans une autre discipline.
Ce que nous attendons du théâtre et que nous serions en mesure d’attendre des formes de notre écriture, c’est que, comme lui, elle transcende de manière unique son propos, non simplement par une certaine esthétique, mais par des inventions de mécanismes qui lui sont propres. Ces idées typographiques ne pourraient prendre corps dans aucune autre discipline car créées au cœur même de ce qui fait que l’écriture est écriture en tant que système. Elles ne feraient pas de la forme des lettres, de la construction des familles ou de leurs références historiques des fins en soi, mais viseraient par leur symbiose à créer des performances de lectures inédites. Dans un second temps, si ces actes de création typographiques touchaient les gens au point qu’ils soient répliqués, alors les standards de texte qui s’imposeraient répondraient à une tout autre logique que celle dirigée par les marchés d’aujourd’hui.
L’esthétique et la technicité du design de caractères ne peuvent pas être des fins, seulement des moyens. Un caractère est fait pour être lu, comme un film est fait pour être vu ou une musique est faite pour être entendue. Nous n’attendons que rarement que ces expériences ne fassent que donner à voir quelque chose de la manière la plus neutre qui soit, qu’elles ne fassent que communiquer. Toutes ces expériences décuplent ce qu’elles racontent précisément parce qu’elles dépassent la communication à l’infini, dans toutes les directions. Le cinéma a beau procéder d’une technicité au moins aussi complexe que la typographie, ce qui en fait une discipline vivante ne sont pas ses avancées techniques, mais ses auteurs qui y inventent sans relâche de nouvelles façons de l'inventer.
(.~◍`皿′◍~.)
Nous pourrions imaginer que la spécificité de la discipline typographique est de créer des «formes-systèmes» destinées à la lecture, des objets qui sont à la fois des dessins et des interfaces. Je trouve le mot interface éclairant car il fait apparaître de manière évidente que le dessin des lettres, au-delà de leur esthétique, active différentes facultés pendant la lecture.
Aujourd’hui on observe majoritairement trois fonctions :
① Les formes typographiques savent faire emphase, attirer l’attention, structurer, hiérarchiser, grâce aux graisses et à la chasse.
② Les formes typographiques savent marquer un appel hors texte, un extérieur, mais aussi, une langue étrangère grâce à l’italique.
③ Les formes typographiques savent invoquer des styles, et donc faire appel à des univers culturels partagés par une frange des lecteurs. Une typographie art-déco évoque une époque, une manière d’envisager l’art, des sentiments à l’égard du floral, etc. vis-à-vis de la période depuis laquelle nous la lisons. Une écriture gothique évoque aussi bien la période médiévale, que la puissance d’un groupe de métal ou la folie du Troisième Reich.
Plus discrètes encore que l’apparence de nos lettres elles-mêmes, il me semble cependant que ce sont ce que sont ces capacités là, les formes-systèmes en action, qui sont au cœur même de ce que uniquement la typographie est capable d’accomplir : performer une lecture. Aujourd’hui, il est plus que rare de rencontrer dans notre quotidien des caractères qui performent autre chose que les trois fonctions évoquées ci-dessus. Seuls quelques étudiants et dessinateurs diffusent de temps en temps des caractères qui posent et ouvrent de nouvelles questions mais dont les échos ne dépassent jamais le cercle infime d’une petite fraction d’intéressés, pour finir noyés dans un flot tsunamique de production de caractères aux fonctions uniformisées, occupant la quasi-totalité des espaces de lecture.
Comme nous sommes habitués à considérer les caractères typographiques comme des objets principalement esthétiques et communicatifs, il nous semble naturel de nous orienter dans cette jungle de fontes par leur style graphique, ou par leur capacité à être lisible selon tel ou tel support. Nous ne conscientisons pas qu’un caractère puisse performer la lecture selon d’autres méthodes que l’évocation de style, la hiérarchisation de l’information ou l’appel à un extérieur au texte. Nous sommes si absorbés par l’illusion qu’un caractère doit avant toute chose communiquer sans encombre le texte qu’il performe que nous ne nous posons même plus la question : « Ce caractère accomplit-il autre chose que ce que toutes les autres typographies ont déjà accompli tant de fois ? » Projetons-nous juste dans le fantasme d’un monde où chaque caractère typographique explorerait une nouvelle manière d’incarner un texte. Nous pourrions utiliser par exemple un caractère travaillant le problème de la vitesse. Une famille qui par sa « forme-système» pourrait invoquer différentes cinétiques, avec des déclinaisons Lento, Adagio, Moderato, Allegro, Prestissimo et non pas de graisse, de chasse ou de pente. Si nous leur laissions la place de se développer et d'être utilisés, un seul de ces caractères ne mettrait-il pas en branle la manière que nous avons d’utiliser le texte depuis toujours ?
Nous pourrions tout aussi bien imaginer un caractère qui travaillerait la notion de vérité dans un texte, donnant à voir des phrases plus ou moins honnêtes et s’interpolant en une variation «mensonges par omission». Nous pourrions repenser l’accouplement de deux lettres au sein des ligatures sous l’angle du consentement et travailler une fonte où chaque lettre est libre ou non de s’unir avec ses voisines. Nous pourrions composer des textes symphoniques grâce à des super-familles dont chaque fonte s’augmenterait d’un ton ou un demi-ton, mettant en scène le texte selon des modulations majeures ou mineures.
De ces puissances d’agir, l’auteur et son récit, le chercheur et ses équations, le philosophe et ses concepts, tous pourraient très certainement en faire des applications différentes. Il serait néanmoins malhonnête de dire que dans l’histoire de la typographie, aucun dessinateur de caractères n'a jamais proposé de nouvelles manières de concevoir des «formes-systèmes». Ils sont cependant loin d’être légion. Des fontes inhabituelles apparaissent de temps en temps et construisent un corpus de facultés alternatives de texte , mais finissent toutes autant qu'elles sont sans utilisateurs, sans promotion ni démonstration. Le récit habituellement brandi à l’encontre des caractères expérimentaux selon lequel l’écriture, dans une danse macabre darwinienne, fait survivre les idées d’écritures acceptées par la majorité trouve ici sa limite. Comment croire que de petits caractères expérimentaux aient la force marketing d’un Helvetica New ? Ces caractères étranges occupent une place infime sur la grande scène du jeu typographique, alors qu’ils opèrent précisément un acte de création, une possibilité pour la forme du texte de devenir autre chose que ce qu’elle est déjà et dont nous faisons semblant de ne pas voir l’ostracisation.
Si l’on est d’accord avec le Nous lisons mieux ce que nous le plus, de Zuzanna Licko, on pourrait émettre le corollaire, Et ce que nous lisons le plus est la production de peu de personnes, markettée de manière brutale, répondant pour la plupart à des briefs de communication, des modes, des traditions historiques, voire parfois, des aprioris auto-induits.
La conception des formes de l’écriture est discipline élémentaire au même titre que sa sœur jumelle, les mathématiques. Pourtant c’est peu de choses que de dire que depuis Uruk en -4000 où elles sont toutes les deux nées, les chemins empruntés par l’une et par l’autre ont été bien différents. La construction du champ des mathématiques a explosé de manière exponentielle grâce à l’invention et l’opposition des théories, la recherche abstraite et a constamment cherché à repousser ses limites dans une course effrénée vers l’inconnu. De son côté, l’écriture a misé sur une tradition solide et rassurante, dont les dogmes deviennent jour après jour plus indéboulonnables tant ils finissent par apparaître naturels, et ne peut se targuer que de peu d’inventions bouleversantes.
La forme de l’écriture n’est pas une technique, elle est un art six fois millénaire. Elle est irréductible à toute logique, à toute règle, à toute classification. Elle est l’inévitable étape de cristallisation des états d’être d’un texte sans qui aucune incarnation n’est possible. Actrices d’une pièce discrète en cours jusque dans les recoins les plus oubliés, les lettres jouent en secret. Leurs incantations nous parviennent, mais sommes-nous réellement en mesure de comprendre le culte à mystère qu’elles servent ?
À l’heure d’aurore, au creux d’un rêve clair caractéristique du matin, j’observe une discipline typographique responsable du foisonnement du processus de lecture même. Inventant dans un flux constant de nouvelles manières d’activer un texte, elle redonne à la lecture une popularité qui n’a rien à envier au cinéma, à la musique ou aux jeux-vidéos. Grâce à une panoplie d’inventions dont une vie entière ne suffit à faire le tour, chaque paragraphe lu est une performance interactive unique. Les classifications n’amusent plus que quelques historiens passionnés, et Monotype survit péniblement des quelques royalties perçue pour les derniers revivals de l’histoire de l’humanité. Dans le fond, un homme à tête de babouin psalmodie un passage du Feu Pâle de Vladimir Nabokov :
Nous sommes absurdement accoutumés au miracle de quelques signes écrits capables de contenir une imagerie immortelle, des tours de pensée, des mondes nouveaux avec des personnes vivantes qui parlent, pleurent, rient. [ ...] Et si un jour nous allions nous réveiller, tous autant que nous sommes, et nous trouver dans l’impossibilité absolue de lire ?
_〆(。。)
Assise, les pieds posés sur le bureau, Josy est pensive. Fixant le plafond en placo de spiruline, son regard navigue en circonvolutions cherchant à déceler dans la forme hiératique des aspérités une logique cachée. Sur son écran de papier, 4 heures se sont écoulées depuis qu’elle a créé un nouveau document, encore vide, dans le logiciel de dessin de caractères.
Elle fixait cette page blanche depuis ce matin quand, à travers sa fonderie autogérée, un groupe d’écrivains avait déclenché une demande de financement participatif pour payer une commande qu’ils souhaitaient lui adresser. En moins de quelques heures, ils avaient atteint la somme requise pour débloquer la commande : 5000€. Ce collectif cherchait à réhabiliter certains penseurs du XXe et du XXIe siècle en publiant des textes sous leur forme d’origine. Leur souhait était que Josy dessine une version contemporaine d’un caractère des années 2000. La designeuse essayait donc depuis 4 heures de se souvenir tant bien que mal de ses cours de typographie où, pour la dernière fois, on lui avait parlé de cette pratique maintenant oubliée du revival qui consistait à transposer dans des paradigmes contemporains les caractères du passé.
Pour être totalement honnête, elle ne voyait pas comment faire. 150 ans la séparait des années 2000 et depuis, c’était peu de chose que de dire que la forme de l’écriture avait évolué. On utilisait peut-être encore l’alphabet latin, mais cela faisait déjà plusieurs années que des écoles de pensée parlaient maintenant d’alphabet «post-latin», ou Haoutine. D’origine vietnamienne, ce dernier terme s’était imposé tant les dessinateurs de la péninsule est-asiatique avaient participé aux mille nouvelles directions qu’avait empruntées la typographie.
Ce qui embêtait en premier lieu Josy, c’était qu’elle allait devoir dessiner des lettres sans icares. Ces terminaisons à la symétrie complexe avaient remplacé depuis au moins 70 ans les empattements, et ce dans 95% de la production contemporaine. Elles avaient non seulement doublé la lisibilité, mais permettaient aussi avec une aisance que tout le monde avait trouvé déstabilisante, de moduler l’écriture dans des variations de temps subtiles. Imaginer un texte sans eux, revenait clairement à dire aux lecteurs «Démerdez-vous pour comprendre comment chaque phrase prend place dans la temporalité de la pensée» et la dernière chose dont avait envie la designeuse c’était de se retrouver à faire quelque chose d’illisible. Déjà trois commentaires avaient souligné son attitude anticonformiste dans des précédentes commandes. Si ça continuait comme ça elle finirait par ne plus avoir de commandes. Elle avait bien tenté un entre-deux, en essayant de réduire ses icares au strict minimum, mais les lettres ressemblaient plus à un alignement d’herbes folles qu’à quelque chose de crédile.
Faire une famille qui ne se diversifie que par la graisse et l’italicité, à la limite, elle pouvait le concevoir. La plupart des internautes trouveraient ça austère, mais remis dans son contexte, elle serait pardonnée. Elle n’aurait qu’à faire ce qu’on attend normalement d’une dessinatrice quant à la production d’une fonte, écrire un bref essai qui explique sa démarche face à ce problème monté de toutes pièces.
La designeuse tape rapidement sur son terminal une requête vers l’EPÉ, l’Encyclopédie Planétaire des Écritures. Ce wiki avait été mis en place quand toute production en rapport avec l’écriture avait été décrétée domaine public par l’ONU. On attendait de tout étudiant en design des formes d’écritures qu’il sache s’en servir et qu’il s’en serve activement. L’encyclopédie pouvait basculer en plusieurs modes, se réorganiser à la volée selon les critères entrés et pouvait aussi bien afficher une histoire très linaire, que trier les fontes selon les écoles de pensée des multitudes de théories en vogues.
Josy explore d’abord trente minutes le mode «spécimens» et surfe au milieu d’images des 104 millions de formes d’écritures produites depuis le début de l’histoire de l’humanité. Elle espére y trouver avec un peu de chance des exemples de caractères de transition entre le XXe et les nouvelles formes d’écriture, mais c’était sans compter que cette période était précisément le moment où le principe d’hybridation des styles avait été abandonné sans trop qu’on sache pourquoi.
Elle enchaîne sur le mode «théories», qui donne à lire de manière libre les écris associés à chaque caractère. Elle passe en revue autant de propositions fantasques, que d’autres très fonctionnelles, puis réorganise les idées en zones géographiques pour filer en direction des derniers caractères d’un groupe d’artistes chercheurs russes. Josy les suit avec assiduité depuis qu’ils ont sorti une famille qui avait empêché une guerre entre deux communes de la région de Kostroma. Mais malgré la relecture de quelques idées qu’elle avait déjà metasurlignées dans leurs articles, rien de nouveau sous le soleil. Elle n’était pas plus avancée qu’elle ne l’était déjà quatre heures auparavant.
Au bout d'un moment, Josy fini par laisser l’écran s’éteindre. Peut-être qu’il était déjà un peu tard pour rentrer dans de telles considérations. Demain devait avoir lieu un groupe d’échange avec un collectif associé, et ensemble, ils arriveraient sûrement à trouver quelque chose. Une nouvelle dessinatrice, Cassandre, était arrivée un mois auparavant et les méthodes de réflexion qu’elle avait inventé avaient plus d’une fois débloqué le groupe. Le brainstroming en état hypnotique par exemple, avait permis à un des membres de trouver une manière pour que deux lettres distantes de plusieurs pages soient ligaturées. On n’était pas encore très sûr de ce à quoi ça allait bien pouvoir servir, mais Hélène, le dessinateur à l’origine de l’invention, disait qu’il avait vu passer sur le réseau un post de poètes colombiens qui en avait fait un usage plus que prometteur. Au creux de son lit, Josy regarde le cadran-papier de son réveil matin avant de laisser le sommeil l’emporter. Les icards des chiffres étaient tous verticaux, soulignant une temporalité courte. Elle savait qu’elle n’avait plus que cinq heures de sommeil avant de devoir se lever.
(ง ̀_́)ง Ce texte a été écrit, réécrit et réréécrit en 2021 par Benjamin Dumond, puis lu, relu et rerelu, par RB, AM, RVDB, LD, CL, MG et HA ! Il performe sa lecture en jean et t-shirt, à travers le Fragen de Lucas Descroix.
Projection Graphic Means |
Il y a maintenant 30 ans que l’ordinateur a révolutionné la pratique du graphisme. Avant son arrivée, la composition des lettres et des images étaient pensée sans aperçu direct et produite par plusieurs plusieurs mains et machines, avant d’être assemblée manuellement puis envoyée à l’impression.
Graphic Means explore les processus de création graphique de 1950 à 1990, une époque qu’il est difficile de se représenter aujourd’hui où la totalité des différentes étapes de production graphique peuvent être réalisées par une personne, sur une machine.
Un film essentiel qui remet en perspective l’interaction entre la production graphique et ses outils en constante évolution.
Réalisé par Briar Levit, graphiste et enseignante au Portland State University, le film présente plus de vingt interviews de graphistes dont Ken Garland, April Greiman, Steven Heller et Ellen Lupton.
Briar Levit on making Graphic Means from Briar Levit on Vimeo.
As, Not For : Détrôner nos absolus |
“As, Not For : Détrôner nos absolus” est un aperçu historique non-exhaustif du travail de graphistes afro-américain.e.s, proposé par le graphiste et curateur Jerome Harris. Ces graphistes sont absent.e.s de l’enseignement des grandes figures du graphisme et leurs travaux sont pour la plupart invisibles ou non crédités dans le champ du graphisme contemporain. L’exposition “As, Not For” a pour but de promouvoir l’inclusion du travail de graphistes afro-américain.e.s et noir.e.s dans le champ du design et de sa médiation, mais également de remettre en question l’omniprésence de l’esthétique blanche et anti-noire dans ce même champ.
“As, Not For: Dethroning Our Absolutes” is an incomplete historical survey of work created by African-American graphic designers over the last century. These practitioners are absent in too many classroom lectures, and their methods go mostly invisible or uncredited in the field. The exhibit seeks to question, inspire, activate, and challenge the design community and beyond with the objective of promoting the deep history, design theories and aesthetics of African-Americans.